La fatigue de compassion chez les parents en contexte de défis d'attachement et de troubles d'attachement
08 avril 2021
LA FATIGUE DE COMPASSION CHEZ LES PARENTS
La fatigue de compassion se définit comme une usure profonde due à une exposition quotidienne à la souffrance d’une autre personne. Cette souffrance qui envahit la personne devient insupportable pour l’intervenant qui doit s’en protéger. Lorsque nous sommes dans notre milieu de travail, nous pouvons mettre en place des stratégies nous permettant de prendre soin de nous et de continuer à oeuvrer auprès de notre clientèle. Le jugement porté sur nous, si nous souffrons de fatigue de compassion ou même de dépression, sera plutôt bienveillant. En effet, notre entourage et notre employeur, peuvent reconnaître les difficultés inhérentes au travail que nous effectuons. Par contre, comme parent, la réalité est tout autre.
Un parent qui accueille un enfant dans son foyer, que ce soit un enfant naturel, adopté ou à titre de famille d’accueil, le fait habituellement, avec bonheur et bonne volonté. De plus, il le fait avec le bagage qu’il a lui-même reçu de sa famille. En général, il est heureux et amoureux de son enfant et il veut faire le meilleur pour lui. Avant même que l’enfant naisse ou arrive, le parent fait des projets, il imagine son enfant et sa vie avec celui-ci. Il se voit lui-même comme parent. Lorsqu’il se retrouve confronté avec la réalité, une bonne partie de ce qu’il a envisagé se retrouve balayée par les contraintes et les exigences de son enfant réel. Sa réalité est d’autant plus compliquée que les difficultés à surmonter sont grandes. D’où notre questionnement : Est-ce que la notion de fatigue de compassion pourrait aussi s’appliquer aux parents? Après tout, ils sont exposés à vivre les mêmes stress et traumatismes que les intervenants dans leur milieu professionnel, et ce, sans aucune formation spécifique, ni aucune équipe de travail pour les épauler, tout en étant impliqué émotionnellement.
Lorsque les difficultés débutent et s’aggravent, commence alors toute une série de hauts et de bas, de recherches, d’essais-erreurs et de recommencement. Le parent doit apprendre à faire face à des crises et des situations auxquelles il n’est pas préparé et qui, bien souvent, le dépasse complètement. Il vit toute une série d’émotions ; sentiment d’incompétence, colère, tristesse. Il se sent coupable de ne pas être capable de répondre aux besoins de son enfant et bien souvent incapable du recul nécessaire pour pouvoir agir efficacement. Il doit aussi faire face aux jugements, imaginaires ou réels, de la part des autres, que ce soit des membres de la famille proche ou élargie, des professeurs et des autres intervenants qui gravitent autour de l’enfant. Lorsqu’un diagnostic est finalement posé, il y a un moment de soulagement. Enfin! Des mots sont mis sur le vécu à la maison. Mais voilà, cela ne règle pas les problèmes. Au contraire, voilà que maintenant il y a des mots qui expliquent ce qui se passe, mais pas de solutions miracles
Après, parfois plusieurs années de vie chaotique à la maison et de stress intense, la fatigue et le découragement peuvent s’installer ainsi que l’envie de baisser les bras et d’abandonner. Après tout, c’est le parent qui est aux premières loges pour gérer les crises de toutes sortes. Il est celui qui s’inquiète, cherche des solutions et celui que l’école appelle quand plus rien ne va. Souvent, le parent sert d’intermédiaire entre le monde extérieur et son enfant. Ainsi, il va même jusqu’à recevoir le découragement des intervenants qui ne savent plus quoi faire, et ce, jour après jour.
Tout en composant avec la vie quotidienne, ce même parent doit également faire le deuil d’un enfant et d’une vie familiale qu’il avait rêvé et préparé. Cette vie ne correspond pas à ses attentes et parfois même à ses valeurs. Il doit apprendre à aimer différemment son enfant. Il doit également apprendre à agir de façon allant parfois complètement à l’encontre de ses propres modèles et croyances. Le parent doit réinventer une façon de vivre afin de permettre à son enfant d’évoluer, de surmonter ses difficultés et de pouvoir fonctionner dans la société. Tous ces changements ne se font pas sans heurts et demandent énormément d’énergie.
À travers nos recherches, nous n’avons pas retrouvé de documentation sur les parents et la fatigue de compassion. Par contre, en discutant avec des intervenants de différents milieux, nous nous sommes rendu compte que les parents ayant des enfants en difficultés ou différents sont plutôt perçus comme étant dépressifs ou bien comme étant de mauvais parents…
Or, Cindy Fortin 1, dans son mémoire de maîtrise sur la Fatigue de compassion et le Traumatisme vicariant met en évidence des facteurs de risque qui peuvent se rapporter aux parents :
- Peu ou pas d’expérience
- De mauvaises stratégies d’adaptation
- Des objectifs irréalistes
- Une obsession pour aider son enfant
- Une vulnérabilité personnelle
- Investissement de beaucoup de temps et d’énergie pour combler les besoins de son enfant
- Habileté de voir et de connaître les besoins de son enfant
- Faible réseau de soutien familial
- Isolement social
- Sentiment d’insécurité
- Pessimisme
- Impression de ne pas avoir de contrôle sur la situation
- Gestion inadéquate de la colère et de la tristesse
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les effets à long terme sur la santé d’un parent qu’une telle situation peut engendrer. Nous savons qu’un stress prolongé peut endommager le système immunitaire, le fonctionnement cognitif et même la santé cardiaque.
1 FORTIN, Cindy, Le vécu professionnel des intervenants de la relation d’aide : Les facteurs d’influence de la fatigue de compassion et du traumatisme vicariant. Mars 2014, tableau 3, Les facteurs de risque de la fatigue de compassion et du traumatisme vicariant(inspiré de)
En effet, «lorsque le corps est confronté avec un stress, son mécanisme de réponse au stress comprend la production de différentes substances chimiques, dont certaines sont des hormones (cortisol et adrénaline) qui affectent le fonctionnement du corps et du cerveau. »3
Une exposition trop longue à ces hormones peut provoquer une usure, du corps et de l’esprit. Ainsi, un parent ayant un enfant en grande difficulté, doit composer avec les défis que représente le quotidien de son enfant, tout en vivant avec ses propres problèmes de gestion de stress et les répercussions de ce stress sur sa santé et sa vie en général.
Un enfant est membre à part entière d’un système qui est la famille. Il y a un proverbe africain qui dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Il faudrait aussi ajouter qu’il faut ce même village pour soutenir les parents.
De nos jours, nous vivons dans une société qui valorise l’individualisme. Les familles ne sont plus aussi proches qu’avant. Pour toutes sortes de raisons, des parents qui ont besoin de répit ne peuvent pas envoyer leur enfant chez d’autres membres de leurs familles ou chez des amis. Leur isolement est beaucoup plus grand et complique la situation. Ils s’adaptent du mieux qu’ils peuvent, mais finissent par baisser les bras. L’enfant le sait, le sent et devient de plus en plus difficile. C’est une roue qui tourne et qui devient infernale. Pourtant, les enfants ont besoin de cohérence, d’encadrement, ils ont besoin d’être rassurés, de sentir que leurs parents sont solides et qu’ils sont présents pour lui. « On sait maintenant que ce qui permet à un enfant de bien se développer, c’est la stabilité affective.»4 Comment ces mêmes parents peuvent-ils offrir cet environnement sécurisant, cette stabilité, s’ils sont eux-mêmes à bout de souffle et démunis dans leurs moyens ?
Et si pour une fois, après avoir discuté avec les parents de leur enfant et de son plan d’intervention, nous leur disions «Et toi, comment vas-tu? Qu’aurais-tu besoin pour toi? » Si nous reconnaissions qu’eux aussi peuvent souffrir d’épuisement, se remettre en question, avoir peur de ne plus aimer leur enfant, avoir envie de partir pour ne plus vivre ces problèmes? Nous, les intervenants, pouvons et devons être membres de ce village qui soutiennent les parents qui en ont besoin et leur permettre de pouvoir réaliser leur rêve d’une famille épanouie. Tous en ressortiraient gagnants!
Hélène Cadotte, éducatrice spécialisée
2 BRUNSHAW, Jacqueline Dr., Giving too much: ‘Compassion fatigue’ is a real health risk for long-term caregivers, National Post, 5 juin 2012
3 http://ressourceaidantsnaturels.leroyal.ca/ Impact du stress sur le bien-être. Site des Anciens combattants
4 CYRULNIK, Boris, Une enfance pour la vie, recueil de Mario Proulx, page 76